Les travaux doivent avoir un caractère immobilier. Ils doivent par ailleurs être exécutés soit « pour le compte d’une personne publique dans un but d’utilité générale », soit « par une personne publique dans le cadre de sa mission de service public ».
Sont tels, car réalisés pour le compte d’une personne publique, l’édification d’une route départementale, la construction d’un stade municipal ou bien encore la réhabilitation d’un musée commandée par un établissement public national.
Réalisés cette fois par des personnes publiques pour le compte de personnes privées, sont encore des travaux publics ceux qu’une commune exécute d’office sur un immeuble insalubre ou sur une voie privée ouverte à la circulation publique.
La qualification de dommage de travaux publics s’applique également à celui qui résulte de l’existence ou du fonctionnement d’un ouvrage public.
Ce sont en quelque sorte des inconvénients de voisinage : troubles de jouissance (odeurs provenant d’un égout ou d’une station d’épuration, fumées d’un incinérateur d’ordures ménagères, bruit au voisinage d’un aérodrome…), préjudices commerciaux (baisse du chiffre d’affaires due à des aménagements nouveaux), dépréciation de la valeur d’un immeuble (du fait de la présence d’une source de nuisances : autoroute, aérodrome…).
Sous peine de freiner toute amélioration de la vie de la cité, les riverains de ces travaux doivent s’accommoder des désagréments qu’ils suscitent inévitablement.
Deux cas exceptés.
Premier cas : les travaux ou l’ouvrage public qui jouxtent l’immeuble d’un administré causent ou sont sur le point de causer, de manière imminente, des dégradations à ce dernier.
Ainsi, par exemple, des eaux de ruissellement en provenance d’une route départementale créant d’importants désordres dans une maison d’habitation ou de l’erreur de manœuvre d’un engin de chantier endommageant gravement un magasin.
En pareil cas, la victime sera tentée de demander au Juge administratif d’enjoindre à l’administration, en sa qualité de maître d’ouvrage, de réaliser des travaux confortatifs sur l’immeuble endommagé ou, plus généralement, de prendre toute mesure pour faire échec au péril issu des travaux susdits.
Pour ce faire, elle ne saurait emprunter la voie d’une procédure au fond, les délais de jugement de cette dernière (supérieurs à l’année) l’a condamnant d’évidence.
Le chemin du référé-suspension (art.L.521-1 du Code de justice administrative, ci-après CJA) ne semble pas plus praticable. Sans doute s’agit-il d’une procédure d’urgence. Mais que l’autorité administrative ne réponde pas à la sollicitation de la victime et la voie du référé-suspension ne sera ouverte qu’une fois née une décision implicite de rejet, donc au terme d’un délai de deux mois. Autant dire, un retard insupportable quand un bâtiment menace de s’effondrer à tout moment.
En écartant encore le référé-provision qui n’ouvre qu’au versement d’une somme d’argent, le justiciable n’a finalement plus d’autre choix qu’entre deux procédures d’urgence : le référé « mesures utiles » (dit encore référé conservatoire) prévu à l’article L.521-3 du CJA et le référé-liberté fixé à l’article L.521-2 du même code.
Lorsqu’il n’expose pas à la vie des personnes, le péril peut valablement être combattu par la première de ces procédures.
Le succès du référé conservatoire est conditionné par la démonstration suivante : d’une part, l’imputabilité du dommage à des travaux publics ou à un ouvrage public ne doit se heurter à aucune contestation sérieuse ; d’autre part, les mesures sollicitées doivent répondre à une urgence, être utiles en présentant au surplus un caractère conservatoire et provisoire.
Que le requérant ait préalablement demandé à l’administration de prendre de telles mesures est indifférent. Mieux, la circonstance que ladite administration ait rejeté par une décision expresse ou implicite une telle demande ne fait nullement obstacle à la mise en œuvre de la procédure prévue par l’article L.521-3 du CJA. (CE, 18 juillet 2006, Elissondo Labat, n°283474.)
Sauf à avoir la force de l’évidence, l’imputabilité du dommage à un ouvrage public ou à des travaux publics nécessitera parfois une démonstration par un homme de l’art. La victime aura alors tout intérêt à solliciter la désignation d’un expert judiciaire par la voie du référé (art. R.532-1CJA).
L’urgence sera, quant à elle, satisfaite dès lors que la mesure est nécessaire à la protection des droits de l’intéressé.
Il en sera ainsi en cas de risques d’effondrement de certaines parties d’une maison (CE, 18 juillet 2006, Elissondo Labat, n°283474).
L’utilité semble correspondre à une absence d’alternative : une mesure est utile s’il n’existe pas une autre voie permettant de l’obtenir. Or, les administrés ne disposant d’aucun pouvoir de coercition sur l’administration, ils n’ont d’autre moyen, pour conjurer la carence de l’autorité publique (née, le cas échéant, de son refus exprès ou implicite d’intervenir) que de saisir le juge. La condition d’utilité est donc aisément admise.
Quant aux mesures sollicitées, seules celles permettant de « parer au plus pressé » seront accordées. Elles pourront se décliner en deux temps : d’abord une suspension immédiate des opérations, puis une définition des mesures adéquates.
A ce dernier titre, des travaux confortatifs tels qu’un étaiement des parties sinistrées au frais avancés de l’administration coupable pourront ainsi être ordonnés, le cas échéant, sous astreinte.
De même, à titre conservatoire, l’enfouissement d’un réseau câblé pourra, par exemple, être exigé (CE, 9 juillet 2008, n°309878, Sté Rhône Vision Câble). La cessation définitive des travaux est, en revanche, exclue.
Enfin, au vu d’un élément nouveau (par exemple, une nouvelle dégradation), le juge pourra modifier la mesure provisoire initialement requise en la renforçant par d’autres mesures plus sécuritaires.
Second cas : des travaux publics ou l’état d’un ouvrage public causent un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes.
Cette fois, la victime peut s’engager dans la voie du référé-liberté (L.521-2 du code de justice administrative).
Le requérant devra alors démontrer que la carence de l’autorité publique porte atteinte à une liberté fondamentale qu’il convient de conjurer, sans délai. « Le droit au respect de la vie » étant considéré comme une telle liberté [1], la victime devra encore fournir une double preuve.
Celle, d’abord, de la carence manifestement illégale de l’administration à lever la menace pesant sur la vie des personnes.
Puis, celle de l’extrême urgence (et non plus de la simple urgence comme en référé conservatoire) qui s’attache à la situation. Le référé-liberté ne peut, en effet, être mis en œuvre que dans les cas les plus pressants, lesquels sont – heureusement – rares.
A l’instar du juge du référé-mesures utiles, il sera loisible au juge de l’article L.521-2 d’intervenir en plusieurs temps.
Dans une première ordonnance, il incitera la personne publique à prendre des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures (interruption du chantier pendant un délai de 72 heures à l’effet de procéder aux réparations urgentes, instauration d’un périmètre de protection, désignation d’un expert aux fins de proposer une nouvelle méthodologie de travaux…).
Puis, dans une décision ultérieure prise à brève échéance, le Juge sera fondé à déterminer des mesures complémentaires.
Face au péril que lui semblent constituer, pour son habitation, les travaux publics réalisés sur un immeuble mitoyen, l’administré pourra éprouver quelque embarras au moment d’opter pour l’un des deux référés susvisés.
Instinctivement, il inclinera sans doute vers le référé-liberté, jugé a priori plus adapté puisque le juge se prononce dans les quarante-huit heures suivant sa saisine. Ce choix n’est pas forcément pertinent. Les conditions du référé-liberté sont, en effet, très strictement interprétées par le Juge, lequel n’accède que rarement à la demande qui lui est adressée. De fait, pour optimiser ses chances, le requérant gagnera à introduire simultanément les deux référés devant le juge administratif. Car si l’urgence, qu’il importe en toute circonstance d’étayer avec le plus grand soin, n’est pas jugée pressante par le juge saisi du référé-liberté, du moins pourra-t-elle être suffisante à l’aune du référé conservatoire.
Fromage et dessert sont donc non seulement possibles, mais souhaitables. Ne nous privons pas de dessert !
Notes de l’article :
[1] CE, sect., 16 novembre 2011, n°353172, Ville de Paris et Sem Pariseine ; CE, ord réf., 2 déc.2011, n°354445, casa Nova Zatar et a.
Article publié sur Village de la Justice : https://www.village-justice.com/articles/dommages-travaux-publics-comment-les-faire-cesser-par-etienne-colson-corentin,30407.html