Le référé-provision demeure peu connu des entreprises titulaires de marchés publics. Il constitue pourtant un précieux viatique quand l’acheteur public refuse de mettre la main à la poche…
Marchés publics. Nombre d’opérateurs économiques jurent aujourd’hui de n’y plus goûter. L’objet de leur ressentiment ? Les retards voire l’absence de paiement de l’administration. Qui emportent certains, qui en résignent d’autres. Sanction, souvent, d’une funeste ignorance. Celle d’une procédure payante [1] : le référé-provision.
État des lieux d’une voie libre d’accès (I) qu’un juge unique [2], sans rigueur excessive, consacrera « dans les meilleurs délais » [3] pourvu que la créance lui paraisse « non sérieusement contestable » (II).
I) Le référé-provision : une voie largement ouverte aux titulaires des marchés publics.
Dans sa forme actuelle [4], devant le juge administratif, le régime du référé-provision est figé aux articles R.541-1 à R.541-6 du code de justice administrative.
S’agissant d’une demande se rapportant à l’exécution d’un marché public, formalisé ou non, le juge administratif sera seul compétent pour en connaître. A deux conditions toutefois : soit le marché est passé par une personne morale de droit public [5], soit il est passé par un acheteur privé agissant pour le compte d’une personne publique [6]. Dans les deux cas, en effet, comme l’exige la jurisprudence, les conclusions se rattachent à un litige principal, actuel ou éventuel, relevant lui-même de la compétence du juge administratif.
Titulaire d’un marché unique [7], cotraitant [8] et sous-traitant accepté dont les conditions de paiement ont été agréées [9] ont intérêt à agir. En cette qualité du moins, la recevabilité de leur demande de provision n’est pas douteuse.
Cette dernière n’est pas moins soumise à deux autres sujétions d’importance.
Si aucune requête au fond n’est requise, une autorisation d’agir en justice semble désormais obligatoire [10]. De même, la règle de la demande préalable joue de manière systématique, y compris en matière de travaux publics. On savait cette règle applicable – elle le demeure – dans l’hypothèse où le marché (i.e, le plus souvent, le cahier des clauses administratives générales [11]) fait obligation au titulaire de solliciter d’abord de manière amiable le paiement souhaité. Cette démarche prend la forme bien connue d’un mémoire de réclamation adressé à l’acheteur public.
L’obligation de lier le contentieux s’imposait et s’impose encore quand le contrat (de fait, le CCAP) exige la désignation d’une commission de conciliation avant tout recours judiciaire.
La nouveauté vient de l’article R.421-1 du code de justice administrative [12], dans sa version issue du décret JADE du 2 novembre 2016 [13]. Depuis le 1er janvier 2017, cette disposition fait obligation de lier le contentieux avant toute demande indemnitaire. La procédure de référé-provision n’y fait pas exception [14]. Dans le silence du marché, il en résulte que le titulaire ne pourra solliciter directement du juge l’allocation d’une provision. Une question demeure cependant : l’article R.421-1 du CJA imposant expressément d’attendre la réponse de l’administration avant de saisir le juge, faut-il craindre qu’il en soit ainsi en référé ? Le juge du référé du tribunal administratif de Rouen est heureusement d’un avis contraire [15]. Il faut espérer qu’il soit suivi.
Pour qui se frotte tant soit peu à la procédure administrative, la satisfaction des conditions afférentes à la recevabilité d’un référé-provision n’est donc pas insurmontable.
Plus délicate, mais nullement impossible, se révèle la démonstration du caractère « non sérieusement contestable » de l’obligation de payer de l’acheteur public.
II) L’obligation de payer non sérieusement contestable : seule condition d’octroi d’une provision.
Il est fait droit à un référé-provision à une seule condition : l’obligation (de paiement) de l’administration ne doit pas être « sérieusement contestable » [16]. En d’autres termes, il faut -et il suffit- que le juge du référé, juge de l’évidence, éprouve prima facie une quasi-certitude quant au bien-fondé de la créance invoquée. Aucune autre condition n’est requise par la loi ou la jurisprudence. Ainsi, l’allocation d’une provision n’est-elle aucunement subordonnée à l’urgence ou à la nécessité pour le demandeur de l’obtenir [17].
À ce stade, nous permettra-t-on deux conseils ?
Plus que jamais, l’exposé clair des prestations attendues et de leur réalisation est requis du demandeur.
Plus encore, et davantage que dans toute requête au fond, l’entreprise doit s’attacher à étayer d’importance sa demande. Tout moyen peut être convoqué : expertise [18], procès-verbaux de chantiers, constats, courriels…Car, répétons-le, et c’est la conséquence obligée d’une telle procédure : un doute habiterait-il le juge ? Il doit profiter à l’acheteur public [19].
Sans prétendre à l’exhaustivité, et tout en précisant que ni l’opposition du comptable public au paiement de la créance [20] ni la seule contestation de l’acheteur public [21] n’impriment, en elles-mêmes, un caractère sérieusement contestable à la créance sollicitée, l’obligation de payer dont se prévalait l’opérateur économique a été reconnue :
Lorsque la créance constitue la rémunération de prestations effectuées en exécution du marché [22] ;
Quand elle traduit la rémunération de marchandises livrées en exécution d’un bon de commande et qui, bien que commandées dans des conditions irrégulières, ont été utiles à la personne publique [23] ;
Quand elle est la juste contrepartie de travaux supplémentaires indispensables à la bonne exécution des ouvrages à édifier [24] ;
Lorsque l’administration refuse de payer l’indemnité due à son cocontractant au titre d’une transaction pourtant régulièrement conclue [25] ;
Quand la créance dérive de travaux supplémentaires réalisés en conséquence d’une sujétion imprévue [26] ;
Lorsque le sous-traitant, au titre du paiement direct, réclame le paiement des travaux qu’il a réalisés [27] ;
Quand un pouvoir adjudicateur a expressément reconnu le droit de deux titulaires de marchés publics au versement d’indemnités à l’occasion de deux décisions de résiliation unilatérale pour un motif d’intérêt général [28] ;
Enfin, lorsque que le titulaire du marché n’a pu l’exécuter par la faute du maître d’ouvrage [29].
À l’inverse, ont été jugées sérieusement contestables :
La créance d’un sous-traitant auquel l’entrepreneur principal avait opposé un refus motivé à la demande de paiement direct du premier [30] ou que le maître d’ouvrage, au titre de son pouvoir de contrôle des travaux réalisés, estime infondée [31] ;
L’obligation de payer de l’acheteur public lorsque le marché est entaché de nullité, le titulaire pouvant néanmoins placer sa demande sur le terrain, moins avantageux pour lui, de l’enrichissement sans cause [32] ;
La demande basée sur des pièces du dossier ne permettant pas de regarder l’intéressé comme établissant le bien-fondé de la créance dont il se prétend titulaire. Tel est le cas lorsqu’il n’est pas établi, en l’état de l’instruction, que la tranche conditionnelle pour le paiement de laquelle la provision est demandée, aurait été affermie dans les conditions fixées au marché [33] ;
La créance du titulaire d’un marché à bons de commande, quand la demande d’indemnisation du préjudice qu’il a subi du fait que le montant minimum prévu au contrat n’a pas été atteint n’est étayée d’aucune précision sur la marge bénéficiaire qu’aurait dégagée l’exécution du montant minimum des prestations prévues, notamment par référence à des marchés exécutés dans des conditions analogues [34] ;
La demande basée sur la fourniture de documents présentés comme des « procès-verbaux de réception » non signés par un représentant du responsable du marché [35] ;
L’obligation de payer fondée sur une clause du marché particulièrement ambiguë [36] ;
La demande fondée sur des documents comptables incohérents [37].
Dans l’ensemble des cas précités, le rôle du juge du référé-provision semble immuable.
Il vérifie d’abord que la créance de l’entreprise sur l’administration n’est pas sérieusement contestable dans son principe.
Dans l’affirmative, il n’y sera fait droit qu’à condition de l’être aussi dans son montant. La provision allouée sera alors totale ou partielle.
Si des pénalités de retard ont été régulièrement infligées au titulaire du marché, elles s’imputeront ainsi sur le montant de la provision allouée [38]. Rien n’empêche que la demande de provision soit intégralement écartée pour le cas où les créances réciproques de l’acheteur public et de l’opérateur économique se compenseraient totalement [39].
Le gain attendu d’une telle procédure ne se limite pas à la seule allocation d’une provision.
Car s’il en fait la demande, l’opérateur économique pourra espérer intérêts moratoires [40] et astreinte [41], à l’exclusion, d’éventuels frais d’expertise supposant une demande au fond [42].
De même, en l’absence d’exécution de l’ordonnance, le créancier sera-t-il admis à mobiliser la contrainte au paiement prévue par l’article L.911-9 du code de justice administrative.
Mieux, en plus d’interjeter appel [43] ou de saisir le juge du principal [44], le requérant éconduit, en totalité ou en partie, pourra, s’adresser à nouveau au juge du référé-provision à raison du même contrat. Il n’y sera fondé, toutefois, qu’en cas de changement dans les éléments de droit ou de fait ou s’il produit un document nouveau [45].
En manière de conclusion, au vu de ce qui précède, il semblerait malaisé de dénier le réel intérêt du référé-provision pour le titulaire d’un marché public. Sans doute, le requérant pourra-t-il, a priori, éprouver quelque frustration à ne pouvoir plaider sa cause lors d’une audience publique, laquelle est facultative.
Sans doute encore, le demandeur ne manquera-t-il pas d’être surpris par les très brefs délais de réponse aux mémoires échangés qu’une procédure contradictoire simplifiée, menée par un juge unique, semble « imposer » en l’espèce.
Pour autant, forte d’une argumentation serrée confortée par de solides pièces, sa cause aura toute chance d’être entendue. En moins de six mois. Une durée que peut encore comprendre un chef d’entreprise…
Article publié sur Village de la Justice : https://www.village-justice.com/articles/execution-des-marches-publics-passes-par-les-acheteurs-publics-refere-provision,31063.html