Le 1er juillet prochain, l’occupation du domaine public sera soumis à concurrence. Etienne
Colson, avocat au barreau de Lille, et Delphine Sauvet, juriste au cabinet Adekwa, mettent en
lumière les nombreuses ambiguïtés des modalités d’application de l’ordonnance du 19 avril
2017 : comment interpréter l’exception à la règle liée à la courte durée ? Quelle procédure
mettre en place ? Quelle publicité ? Et quels critères de sélection retenir ? A l’administration
d’imaginer les solutions.
La chose était prévisible. C’est désormais chose faite : au 1er juillet 2017, l’occupation du domaine public sera soumise à concurrence. Par son arrêt « Promoinpresa Srl » du 14 juillet 2016, la Cour de Justice de l’Union Européenne avait donné le la. Moins de cinq mois plus tard, le législateur autorisait le gouvernement à « mettre en cohérence » le droit national à l’impératif européen (article 34 de la loi n°20161691 du 9 décembre 2016). Le 19 avril 2017, l’ordonnance n°2017562 relative à la propriété des personnes publiques était née. En son principe l’obligation de transparence dans une matière qui s’y montrait rétive , cette ordonnance recueille nos pleins suffrages. Ses modalités nous trouveront, en revanche, beaucoup plus réservés. L’ambiguïté y coule à pleins bords et, avec elle, les contentieux dont elle est grosse. Intégrée au CG3P, l’ordonnance fixe un principe : « Sauf dispositions législatives contraires, lorsque le titre mentionné à l’article L.21221 permet à son titulaire d’occuper ou d’utiliser le domaine public en vue d’une exploitation économique, l’autorité compétente organise librement une procédure de sélection préalable présentant toutes les garanties d’impartialité et de transparence, et comportant des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester. » (Art.L.212211 al.1).
Gare aux supports de publicité et aux critères de sélection
Quelle interprétation donner aux termes « en vue d’une exploitation économique » ? Large ou étroite ? Les associations s’en trouvent-elles exclues ? Voire. Et cette liberté d’instaurer une procédure de sélection préalable, en l’absence de toute précision, qui, sinon le juge, dira s’il en a été fait l’usage idoine ?
Certes, il est permis de penser qu’une procédure comparable à celle des MAPA puisse être retenue. Mais gare aux supports de publicité et aux critères inévitables de sélection des candidatures et des offres ! Car la procédure ne saurait être la même pour autoriser le stationnement d’un camion pizza et l’installation de la Grande Roue à la Concorde… Au principe, l’ordonnance fixe un aménagement et pas moins de neuf exceptions. L’aménagement (comprendre « publicité simplifiée » selon le rapport au Président de la République) : « Lorsque l’occupation ou l’utilisation autorisée est de courte durée ou que le nombre d’autorisations disponibles pour l’exercice de l’activité économique projetée n’est pas limité, l’autorité compétente n’est tenue que de procéder à une publicité préalable à la délivrance du titre, de nature à permettre la manifestation d’un intérêt pertinent et à informer les candidats potentiels sur les conditions générales d’attribution (Art.L.212211 al. 2) ». « Courte durée », qu’est-ce à dire ? « Lorsque le nombre d’autorisations disponibles pour l’exercice de l’activité économique projetée n’est pas limité » certes… mais encore ? On imagine difficilement qu’un nombre illimité d’autorisations puisse être délivré sur le territoire d’une commune pour une même activité économique… Quant à « l’intérêt pertinent », quelle pertinence précisément ?
Place aux principales exceptions : « Lorsque l’urgence le justifie. La durée du titre ne peut alors excéder un an » (L.212212). L’urgence…notion subjective s’il en est. « Lorsque l’organisation d’une procédure s’avère impossible ou non justifiée (…). » (L.212213). « Notamment (la liste n’est donc pas
exhaustive) : « 1° Lorsqu’une seule personne est en droit d’occuper la dépendance du domaine public en cause ; (…) 3° Lorsqu’une première procédure de sélection s’est révélée infructueuse ou qu’une publicité suffisante pour permettre la manifestation d’un intérêt pertinent est demeurée sans réponse ; 4° Lorsque (plus fuligineux encore, même si certains croient y voir une référence aux terrasses de café et autres devantures de magasins) les caractéristiques particulières de la dépendance, notamment géographiques, physiques, techniques ou fonctionnelles, ses conditions particulières d’occupation ou d’utilisation, ou les spécificités de son affectation le justifient au regard de l’exercice de l’activité économique projetée (…) »…
L’imagination de l’administration au pouvoir
Certes, en cas d’impossibilité alléguée, l’administration propriétaire devra « rendre publiques les considérations de droit et de fait l’ayant conduite à ne pas mettre en œuvre une procédure de sélection » (Art.L.212213). Ce même article cite cinq cas d’impossibilité. Mais, là encore, la liste n’est pas exhaustive. L’imagination de l’administration fera donc le reste… Sans risque majeur, il est vrai, puisque, étonnamment, référé précontractuel et délit de favoritisme demeurent à la porte de l’occupation privative du domaine public…Le meilleur pour la fin : « Lorsque la délivrance du titre mentionné à l’article L. 21221intervient à la suite d’une manifestation d’intérêt spontanée, l’autorité compétente doit s’assurer au préalable par une publicité suffisante, de l’absence de
toute autre manifestation d’intérêt concurrente » (Art.L.212214). Si l’on comprend bien, les candidats spontanés à la location d’un emplacement du domaine public ne pourront être prioritaires. L’administration devra permettre à tout autre candidat potentiel de présenter son projet. Logique, pensera-t-on.
Mais quid de la « publicité suffisante » ? Et qui connaît les adhérents du syndicat des baraques à frites du Boulonnais ou du Haut Quercy ?
Etienne Colson, avocat au barreau de Lille et Delphine Sauvet, juriste (cabinet ADEKWA Avocats)
Article publié sur achatpublic.info : https://www.achatpublic.info/actualites/invite-du-jeudi/2017/06/19/lordonnance-du-19-avril-2017-ou-ladossement-du-droit-domanial