Le droit des partis politiques légalement constitués de tenir réunion dans une salle communale : un droit sous protection rapprochée.
Les élections municipales approchent et vous êtes candidat.
Votre programme exige d’être exposé à vos concitoyens. Pour ce faire, quoi de mieux, pensez-vous, qu’une réunion publique ?
Mais voilà, la salle communale que votre parti guignait pour l’occasion vous est refusée par le maire. Que faire ?
La mise à disposition par les communes de locaux leur appartenant au bénéfice de partis politiques est régie par l’article L.2144-3 du Code général des collectivités territoriales (ci-après CGCT) qui dispose :
« Des locaux communaux peuvent être utilisés par les associations, syndicats ou partis politiques qui en font la demande. Le maire détermine les conditions dans lesquelles ces locaux peuvent être utilisés, compte tenu des nécessités de l’administration des propriétés communales, du fonctionnement des services et du maintien de l’ordre public. Le conseil municipal fixe, en tant que de besoin, la contribution due à raison de cette utilisation. »
Il en résulte ceci.
En premier lieu, seul le maire (et non le conseil municipal) est compétent pour fixer, non seulement la réglementation générale applicable en matière de prêt de locaux communaux, mais aussi pour prendre les décisions individuelles liées aux demandes dont il est saisi (CE, 21 juin 1996, Association « Saint-Rome Demain », n° 134243).
En deuxième lieu, par « locaux communaux », il faut entendre des locaux appartenant au seul domaine public de la collectivité concernée (CE, 7 mars 2019, Commune de Valbonne, n° 417629). Il est ainsi interdit de louer une salle appartenant au domaine privé d’une collectivité territoriale à un parti politique qui en ferait la demande pour un meeting.
En troisième lieu, le conseil municipal peut (ce n’est qu’une faculté) déterminer les tarifs pouvant être réclamés aux bénéficiaires.
En dernier lieu, en la matière, le maire n’est en droit de justifier son refus que par l’un (ou plusieurs) des trois motifs suivants : un trouble à l’ordre public, les nécessités tirées de l’administration des propriétés communales et le fonctionnement des services. Précisons, au passage, que le prêt de salles publiques ne contrevient pas aux règles de financement des campagnes électorales (CC, 13 février 1998, AN Val d’Oise).
Cela dit, le seul recours potentiellement efficace contre un refus de prêt de salle est le référé-liberté présenté devant le Tribunal administratif (L.521-2 du code de justice administrative).
Un juge unique statue dans un délai moyen de cinq jours. Une telle procédure permet, le cas échéant, d’obtenir la suspension de la décision de refus, assortie, éventuellement, d’une injonction (possiblement sous astreinte) de mettre un local à la disposition du parti demandeur.
Pour cela, celui-ci devra démontrer, d’une part une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale (1), d’autre part une extrême urgence (2).
1) S’agissant du droit pour un parti politique légalement constitué de tenir des réunions, le juge administratif y voit clairement une liberté fondamentale (CE, ord. 19 août 2002, Front national et institut de formation des élus locaux (Iforel), req. n°249666, Lebon, p.311).
En outre, le juge considère qu’un refus de prêt de salle constitue, en soi, une atteinte grave au droit de réunion puisque, vérité d’évidence, il en interdit carrément l’usage.
Pour autant, l’atteinte, fût-elle grave, à une liberté fondamentale n’est pas forcément illégale. Elle ne le sera qu’à la double condition de n’être justifiée par aucun motif d’intérêt général et d’être disproportionnée par rapport à l’objectif poursuivi.
On retrouve ici les termes de l’article L.2144-3 du CGCT énumérant les seuls motifs légaux de refus : « nécessités de l’administration des propriétés communales, du fonctionnement des services et du maintien de l’ordre public ».
Sous ce rapport, sont donc inévitablement censurés les refus de prêt de locaux municipaux fondés sur la seule personnalité du demandeur : ainsi des refus fondés exclusivement sur le caractère politique de l’association demanderesse (CE, 30 avril 1997, Commune de Monsoult, req. n°157115 ; CE, 15 mars 1996, Cavin, req. n° 137376), ou de son caractère cultuelle (TA Paris, ord.13 mai 2004, Asso.cultuelle des témoins de Jéhovah de France, req. n°0411210/9).
De même, souvent invoqués par l’administration, les risques que présenterait pour l’ordre public telle réunion politique sont très rarement reconnus par le juge du référé-liberté. Dans l’écrasante majorité des cas, le juge estime, en effet, que la tenue d’une telle réunion « ne présente pas pour l’ordre public de dangers auxquels les autorités de police ne seraient pas en mesure de faire face par des mesures appropriées » (CE, ord. 19 août 2002 précité).
C’est heureux pour la démocratie.
C’est aussi rassurant pour l’idée qu’un Etat se fait de la force publique dont il a le monopole. Qu’il avoue son aboulie en la matière et c’est plus qu’une réunion politique qui se voit annulée, c’est l’Etat, nous semble-t-il, qui capitule. Inacceptable.
Quant aux motifs tirés des nécessités de l’administration des propriétés communales ou du fonctionnement des services, a priori, ils paraissent malaisés à invoquer.
Car, sauf à établir que la collectivité ne dispose réellement d’aucun local (salles de réunion, salles des fêtes, gymnases, etc.) dans lequel une réunion publique ne puisse se tenir – sans être exclu, le cas doit, tout de même, être fort rare…-, ou bien encore que la réunion envisagée perturberait par trop le fonctionnement des services – pensons à l’hypothèse où le demandeur exigerait une salle déjà occupée par les engins et matériels des services techniques – , l’exécutif local aura grand-peine à placer son refus sur ces terrains-là.
Ainsi, en 2002, lorsque le président de la communauté d’agglomération d’Annecy a refusé d’accueillir dans cette commune l’université d’été du Front national dans un centre de congrès situé dans un parc dépendant de cette communauté dans le souci de maintenir ouvert au public le parc en question, le Conseil d’Etat n’est pas entré dans ses vues.
Deux raisons motivèrent la Haute assemblée : d’une part « le parc ne constitue qu’une partie modeste des espaces verts auxquels le public peut accéder à Annecy ; d’autre part (…), il ne ressort pas des pièces du dossier que la tenue de l’université d’été du FN serait incompatible avec le maintien de son ouverture au public » (CE, ord. 19 août 2002 précité)…
2) Seconde condition au succès d’un référé-liberté : démontrer la nécessité de prendre une mesure de sauvegarde de la liberté mise en cause à très bref délai. Il ressort de la jurisprudence qu’une situation d’« atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale » paraît commander de plein droit le prononcé immédiat d’une mesure de sauvegarde.
L’urgence est, pour ainsi dire, comprise dans l’atteinte grave et manifestement illégale à une telle liberté. S’agissant précisément du droit de réunion, l’urgence sera aisément reconnue si quelques jours à peine séparent le jour où le juge statue et la date prévue de la réunion publique.
En résumé, si les partis politiques ne possèdent pas de droit absolu à obtenir le local qu’ils sollicitent du maire pour une réunion ponctuelle, celui-ci doit être en mesure de prouver – le cas échéant, devant le juge – que son choix d’exclure ledit local de la location est justifié par l’administration du domaine municipal, le fonctionnement des services ou le maintien de l’ordre public.
La chose, on l’a vu, ne sera guère aisée…
Article publié sur Village de la Justice : https://www.village-justice.com/articles/maire-refuse-votre-parti-politique-mise-disposition-local-communal-que-faire,32300.html