La jurisprudence dite Béziers I (CE, ass., 28 décembre 2009, n°304802) et son « exigence de loyauté contractuelle » semblait avoir signé sa fin. L’arrêt qui nous retient CAA Douai, 30 novembre 2017, Société Locam SAS, n°15DA01783 consacre son retour en grâce.
Le vice du consentement est revenu et, faut-il s’en plaindre, il « mord » encore ! Le 29 mars 2007, un agent de la commune de Merville avait signé avec la société Locam un contrat de location d’un photocopieur pour une durée de cinq ans et trois mois. Un tel appareil était destiné à un espace culturel, sans personnalité juridique, dirigé par cet agent. À la faveur d’un changement d’exécutif, estimant que ce contrat était entaché d’irrégularités, dès 2009, la commune décidait de ne plus en assurer le paiement. Le 19 janvier 2011, elle en prononçait même la résiliation au motif – d’intérêt général – de son illégalité, comme l’y autorise une jurisprudence constante [1]. Ainsi qu’il était prévisible, l’opérateur économique en réclama réparation au tribunal administratif de Lille.
Logiquement, sa demande s’entendait à la fois du paiement des loyers restant dus et d’une indemnité couvrant pertes subies et manque à gagner. En défense, par la voie de l’exception, la commune soulevait la nullité du contrat. Le 21 septembre 2015, les premiers juges faisaient droit à la requête. Certes, concédaient-ils, le contrat était entaché d’une double irrégularité : passé en l’absence de toute publicité et mise en concurrence (que le tribunal regarde comme « une illégalité d’une particulière gravité »), le marché était encore signé par un agent communal sans délégation de signature. Loyauté contractuelle oblige, de tels vices ne furent cependant pas considérés comme permettant d’écarter ledit contrat. Le tribunal condamnant la commune à un montant très inférieur aux prétentions de la demanderesse, celle-ci frappait d’appel le jugement.
Par appel incident, la commune en sollicitait la réforme totale. Le 30 novembre 2017, quelque dix années après la signature du contrat, la Cour de Douai annule le jugement, conformément aux conclusions de Madame Fort-Besnard qui a bien voulu nous en livrer la teneur, ce dont nous la remercions. Les juges d’appel sanctionnent d’abord l’irrégularité du jugement. Parmi les causes de nullité soulevées par la commune en première instance, figurait celle tirée du défaut de signature du contrat par le titulaire.
Le rapporteur public près le tribunal, Monsieur Caille (que nous remercions également de l’envoi de ses conclusions) regardait le moyen comme manquant en fait. Le jugement, quant à lui, ne le visa pas.
N’étant pas inopérant, puisque susceptible d’exercer une influence sur la solution du litige, les premiers juges étaient pourtant tenus de citer ce moyen pour, le cas échéant, l’écarter expressément. À défaut, le jugement était irrégulier et sa censure inévitable. Sur ce, la Cour évoqua pour statuer d’abord sur l’exception de nullité du contrat litigieux au vu de la solution de principe dégagée par l’arrêt « Béziers I » précité.
Comme les premiers juges, mais, pour sa part, implicitement, la Cour de Douai commence par écarter les autres causes de nullité réitérées devant elle par la commune. Ainsi, d’abord, de l’absence de publicité et de mise en concurrence préalables à la signature du contrat. Depuis l’arrêt Manoukian, on sait en effet que « les parties à un contrat ne peuvent invoquer un manquement aux règles de passation aux fins d’écarter le contrat pour le règlement du litige, sauf en cas de gravité de l’illégalité et eu égard aux circonstances dans laquelle elle a été commise » [2].
Malgré les conclusions de la commune en ce sens (qui invoqua jusqu’au dol), ni les premiers ni les seconds juges ne crurent devoir user des exceptions prévues par la jurisprudence Manoukian. Pas davantage les clauses regardées comme illicites aux yeux de la commune n’emportèrent leur conviction. Restait alors le moyen tiré de la nullité du contrat pour incompétence du signataire public faute de délibération du conseil municipal. Depuis l’entrée en vigueur de la jurisprudence Béziers I, la « nocivité » d’un tel moyen semblait singulièrement purgée. S’il advenait qu’une Cour jugeât que le contrat d’une collectivité locale fût nul en l’absence d’autorisation préalable de l’organe délibérant [3], dans l’écrasante majorité des cas, « la dérive loyaliste », selon le mot de François Llorens [4], y faisait obstacle.
En clair, alors même que le vice d’incompétence est jugé en droit administratif comme d’une particulière gravité (moyen d’ordre public s’il en est), le juge du contrat n’y trouvait rien à redire [5].
Cette tendance fut inversée avec l’arrêt de la Haute assemblée du 8 octobre 2014, Cne Entraigues-sur-la-Sorgue (précité). Désormais, jugea-t-elle, l’absence d’autorisation de l’assemblée délibérante emporte la nullité du contrat sauf si, postérieurement à la signature du contrat, ladite assemblée y a donné son consentement. En pareil cas, et en pareil cas seulement, la loyauté des relations contractuelles prime et interdit d’écarter le contrat.
La Cour de Douai fait sienne cette solution en retenant une acception stricte de la notion de consentement. Elle écarte du même coup l’argument de la société Locam selon lequel le contrat litigieux était le quatrième contrat de ce type conclu dans les mêmes conditions – le premier datant de 2001 – et que la commune ne pouvait ignorer puisqu’elle avait approuvé le budget de l’espace culturel en 2007, 2008 et 2009.
Le moyen avait convaincu les premiers juges pour qui le vote d’un tel budget équivalait à une acceptation tacite a posteriori du contrat par la commune. La Cour de Douai se montre, quant à elle, beaucoup plus exigeante. Elle suit en cela son rapporteur public qui conclut : « L’on ne sait rien de ce qui a été soumis au vote du conseil municipal : concrètement, le contrat en litige apparaissait-il sur une ligne dédiée ? Était-il fondu parmi d’autres frais sous un intitulé générique ? En somme, il nous semble qu’aucun des éléments au dossier ne permet de tenir pour établi que le conseil municipal a effectivement eu connaissance, même indirectement, du contrat, à un moment ou un autre, à l’occasion de l’examen du budget annuel de l’espace culturel par exemple (…). Ici, nous ne disposons pas d’une délibération et il ressort des pièces du dossier que les factures étaient adressées directement au centre culturel et non à la commune. » Une telle solution ne peut qu’être approuvée.
Avec elle, en effet, c’est le droit à l’information des élus locaux qui retrouve ses lettres de noblesse. Un droit qui, faut-il le rappeler, impose de mettre à la disposition des membres des assemblées délibérantes les projets de délégations de service public et de marchés publics [6].
Ce faisant, et ce faisant seulement, l’assemblée délibérante, comme elle y est tenue, peut « se prononcer sur tous les éléments essentiels du contrat à intervenir, au nombre desquels figurent notamment l’objet précis de celui-ci, tel qu’il ressort des pièces constitutives du marché, mais aussi son montant exact et l’identité de son attributaire. » [7]
L’arrêt de la Cour administrative d’appel de Douai confirme ainsi une solution récemment consacrée par le Conseil d’État aux termes d’un arrêt « Sté Pointe-à-Pitre Distribution » du 9 juin 2017 [8]. En écartant l’application du contrat litigieux, la Cour ne condamnait pas pour autant toutes conclusions indemnitaires de l’appelante. Lorsque, comme en l’espèce, le litige ne peut être réglé sur le terrain contractuel, le cocontractant peut, en effet, demander, d’une part, au titre de l’enrichissement sans cause, le remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à l’administration et, d’autre part, sur le terrain quasi délictuel, l’indemnisation de son manque à gagner [9]. La société Locam n’ayant présenté aucunes conclusions de ce type, fût-ce à titre subsidiaire, la Cour ne put qu’annuler le jugement du Tribunal administratif de Lille. En obligeant, du même coup, l’appelante à rembourser à la commune l’indemnité que celui-ci lui avait accordée…
Notes de l’article:[1] CE 10 juillet 1996, Coisne, req. n° 140606, Lebon tables, p. 1006 ; CAA Bordeaux 2 décembre 2014, M. B. A., req. n° 13BX00505, Contrats et marchés publics 2015 n° 45 et 56 obs. Marion Ubaud-Bergeron.[2] CE, 12 janvier 2011, Manoukian, N°338551 ; voir aussi les conclusions de G.Pélissier sous l’arrêt du Conseil d’Etat « Grenke Location » du 8 octobre 2014, n° 370644.[3] CAA Bordeaux, 26 octobre 2010, n°09BX00399, Groupama Centre Atlantique Assurance ; CAA Bordeaux 21 juin 2012, Expertises Melloni et associés.[4] voir son commentaire sous CE, 8 octobre 2014, n°370588, Cne Entraigues-sur-la-Sorgue, Contrats et marchés publics n°12, décembre 2014.[5] CAA Nancy, 9 mai 2011, n° 10NC01276, Sté des établissements Richard-Ducros : JurisData n° 2011-008404 ; Contrats-Marchés publ. 2011, comm. 273, obs. Llorens – CAA Lyon, 1er mars 2012, n° 10LY02532, Sté Girus Ingénierie. – CAA Nantes, 19 oct. 2012, n° 11NT01174, Sté Apic. – CAA Marseille, 27 mai 2013, n° 10MA02835, Sté L’ACRAU.[6] CGCT, art. L. 2121-12.[7] CE, 13 oct. 2004, Cne Montélimar : JurisData n° 2004-067353 ; Rec. CE 2004, p. 369 ; Contrats-Marchés publ. 2004, comm. 224, note G. Eckert et chron. 10, concl. D. Casas.[8] n° 399581, Contrats et marchés publics n°8-9, Août 2017, comm.223 H. Hoeppfner.[9] CE, Sect. 10 avril 2008, Société Decaux et département de Alpes-Maritimes, n°244950, 284439, 284607, p.476.
Article publié sur Village de la Justice : https://www.village-justice.com/articles/beziers-incompetence-plus-forte-que-loyaute-des-relations-contractuelles,28085.html